« Jésus-Christ avait des lunettes noires »
Edité d’abord en argentine en 1993 puis republié en 2005, dans une version corrigée et améliorée par l’auteur, Vie de Saint est un recueil de nouvelles. La vitesse des choses est également un recueil de nouvelles, publié en Argentine en 1998. Pas loin de 1000 pages à eux deux.
Des nouvelles comme des explosions, désordonné, sorte de roman désarticulé, avec comme thème central, Jésus Christ, la religion et le sentiment religieux, le besoin de croire en quelque chose qui semble invraisemblable (sujets qui, je trouve, font toujours de mauvais roman – je viens dans faire l’expérience avec La dernière prophétie de James Patterson – mais d’excellent recueil de nouvelles). N’est-il pas plus facile de croire quelque chose qui commence et se conclut plusieurs fois plutôt que quelque chose qui s’éternise sur 400 pages et dont le dénouement finit par moins nous intéresser ?
Malgré toutes ces belles paroles d’introduction, je ne suis pas habitué à la nouvelle. La nouvelle est le genre de l’homme nomade, le roman celui de l’homme sédentaire. Les romans sont des formes vigoureuses de raisonnement pur et constant, tandis que la nouvelle semble, pour Rodrigo Fresán, surgir du néant ou jaillir de je ne sais quelle obscurité et ignorant toutes les règles établies. Aussi, dès les premières pages, je mentirais si je n’ai pas été perturbé par le style complexe de l’écriture de l’auteur argentin. L’écriture de Fresán n’est pas facilement abordable et l’on s’y perd vite. Les lecteurs que nous sommes veulent comprendre, sans avoir besoin de produire le moindre effort.
Hélas, cela n’est pas possible avec l’œuvre de Rodrigo Fresán.
Le contenu de ces romans, si comme je le disais en introduction peuvent se qualifier ainsi, disons plutôt une collection d’histoire, un collage de cauchemars, s’avère inégal. Certaines nouvelles sont captivantes et d’autres profondément ennuyante.
Mais la force du texte réside dans ces histoires qui se croisent et se répondent. Sur ce point les deux ouvrages, Vie de Saint et La vitesse des choses, sont même complémentaires.
La lecture devient vite ludique. On prend des notes, se surprends à revenir en arrière, à redécouvrir un chapitre déjà lu avec un œil nouveau après avoir lu un nouveau chapitre.
L’auteur argentin déborde de trouvailles, narre avec une vigueur extraordinaire, beaucoup de brio et vaste éventail de machine créatrice. On se rend compte aussi que Fresán est pétri de culture littéraire, de bande dessinée, de séries B, de rock, manifestant une célébration des pouvoirs du langage et un important travail narratif et stylistique.
Comme dis en introduction, il ne s’agit pas exactement de roman ni de recueil de nouvelles mais plutôt d’une Ecriture, de théories, de propositions écrites à un rythme vertigineux. Les digressions sont nombreuses, apportant toute sa valeur à l’œuvre. L’auteur ne cherche pas à faire de la réalité ou de la fiction. L’auteur nous propose une réflexion sur la fiction et sur la réalité.
Aussi, après cette découverte, je comprends pourquoi Fresán est, aujourd’hui, la référence de toute une nouvelle génération littéraire latino-américaine.
La littérature est un vampire à qui nous ouvrons la porte.
Eblouis par les possibilités de son pouvoir…